vendredi 10 février 2012

Deux très bonnes critiques de Piano Mal

Julien Sagot - Piano mal - [2012]
Simone Records
Canada

Critiques mises en ligne le 10 février 2012
dans "Feu à volonté", magazine web indépendant


Deux de nos critiques désiraient parler du nouvel album de Julien Sagot. On a donc décidé de faire un face à face avec leurs deux opinions et d’ainsi créer la section Duel. Que le combat commence!

Critique de Jean-François Téotonio ; Note : 9/10 

L’ingénieux percussionniste de Karkwa se lance dans l’aventure solo. Julien Sagot, d’origine française, mais résident de Montréal depuis belle lurette, profite de la pause que se donne le groupe phare du rock québécois pour voler de ses propres ailes, le temps d’un album. Il nous propose ici une maquette de 10 pièces aussi atmosphériques qu’organiques.

Il y est accompagné de la guitare folle – mais calculée – de Simon Angell (guitariste de Patrick Watson) et de l’auteur-compositeur-interprète ottavien Leif Vollebeck, qui y ajoute sa voix, sa guitare et son piano. Ce dernier ajoute aussi sa touche aux arrangements, alors qu’Angell co-réalise avec Sagot. On se retrouve donc avec un personnel des plus compétents et on est en droit de s’attendre à un compact haut en qualité et en originalité.

Et c’est exactement ce cocktail qui nous est offert ici. On mélange ambiances sombres et brumeuses à des rythmes parfois gitans (Une vieille taupe), parfois vigoureusement rock (Le temps des vendanges). Ceux qui avaient accroché aux pièces chantées par Sagot sur les albums de Karkwa (Pili-pili, Au-dessus de la tête de Lilijune) seront servis : on y retrouve sa voix d’outre-tombe, fragile, mais féroce. Certains la trouveront un peu trop chevrotante, parfois presque fausse. À mon sens, elle s’insère malgré tout dans l’ensemble du disque. Elle ne s’y fait toutefois pas trop abondante, laissant toute la place à la musique pour grandir et s’épanouir. C’est tout à son honneur.

Cette musique, donc, que l’on remarque parfaitement maîtrisée, solide. Julien Sagot et ses comparses ont réellement trouvé un son qui leur est propre, et s’enfoncent tête première, assumant toutes décisions. On se laisse parfois porter par le sifflement sous réverbation (Piano mal), par l’envoûtant arpège à la guitare acoustique (Qui). Et par ces mots. Ces mots imagés, qui collent parfaitement à la voix qui les porte et à la musique qui les intensifie. Ils se font rares sur quelques pièces, mais ce n’est que pour mieux laisser la musique s’exprimer. Et cela réussit à merveille.

Notons aussi l’important apport de percussions et autres bruitages de Sagot, bagage hérité des nombreuses années à occuper ce poste chez Karkwa. Claps, tambourine, sifflet, téléphone, vibraphone, conga, allumettes, sons d’orage extérieur. Tous ces éléments ajoutent à l’ambiance, la rendant tragique, planante, caverneuse.

Vraiment, Julien Sagot ne pouvait mieux réussir son entrée en matière. Ce Piano mal est complet, maîtrisé. Il n’est pas étonnant que Karkwa connaisse autant de succès, quand il compte un tel bijou dans ses rangs.

Vous direz que j’en mets peut-être un peu trop, que je m’excite. Peut-être suis-je biaisé puisque je suis un fan de longue date du groupe. Tant pis, je m’assume. J’ai adoré ce disque, qui est lui aussi assumé.

Critique d’Élise Jetté ; Note : 7.5/10 

Piano Mal aurait pu être un produit dérivé de Karkwa et les admirateurs déjà conquis se seraient précipités. On aurait pu sentir l’influence de l’univers rock du groupe d’origine de Julien Sagot ou seulement le même esprit d’auteur dans la sonorité des textes. Ce n’est pas le cas. Les amateurs en quête d’une réplique n’obtiendront pas satisfaction avec Piano mal, mais c’est pourtant un mal pour un bien.

Bien plus que le premier opus du percussionniste de Karkwa, Piano mal est une œuvre impressionniste à part entière qui démontre la complexité et l’intégralité de l’artiste. Tantôt parlés, tantôt grognés, quelques fois en distorsion ou bien criés ou chantés, les mots de Sagot sont éloquents ou poétiques, mais surtout, esquissent des histoires imaginaires et imagées avec toute la finesse d’un auteur-compositeur-interprète. La voix n’est pas d’une puissance remarquable et les refrains ne sont pas des vers d’oreilles, mais l’univers mystique créé par le musicien est unique et autonome et l’indépendance de son style fait largement le travail.

Il faut entendre les pièces de Julien Sagot en faisant preuve d’ouverture, mais il va sans dire que certains morceaux sont plus faciles à aborder que d’autres. Que ce soit par le caractère comique d’Une vieille taupe, la mélodie de Février ou la composition vivante de la chanson titre, le percussionniste réussit à rattraper en route les auditeurs plus capricieux qui auraient été distraits en cours de route. C’est un premier album aux influences multiples donnant lieu à une exploration artistique marquée. Bien que l’on reconnaisse les arrangements de Leif Vollebekk, issu du folk, des envolées électro-acoustiques (Château rouge, S.O.S. Panda) et des ascendances dérivées de la chanson française proposent un monde singulier. Les détails sont façonnés un à un. Malgré le style décousu, les sonorités sont construites avec ténuité et précision (réalisation de Simon Angell).

Même si la quasi-totalité des chansons pourrait être mise en scène dans un film d’épouvante ou dans un vidéoclip tourné au cœur d’un cimetière, les 10 titres un peu lugubres contiennent une part d’humour (Les champs de coton) et de poésie (Qui) qui rendent l’univers de Julien Sagot un peu moins lourd. Ceci pallie au fait que certaines prestations plus instinctives comme Le trucifié – en ouverture – puissent laisser présager qu’il s’agit d’un album destiné aux initiés.

Avec Piano Mal, il faut s’attendre à être déconcerté, mais il est toujours bon de constater que la musique d’ici est en constante évolution et qu’elle peut encore donner naissance à des marginaux qui n’ont pas fini d’explorer les frontières de la singularité. 

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