mercredi 25 janvier 2012

Sagot surréaliste

Julien Sagot (de Karkwa) / Piano Mal

Ses origines sont parisiennes mais il passé la majeure partie de son existence à Montréal. Il affiche une grande ouverture d’esprit, on peut dire de lui qu’il a beaucoup apporté à la singularité de Karkwa. On peut aussi affirmer qu’il en est un des principaux acteurs du secteur recherche & développement. Un secteur qui, d’ailleurs, devra s’activer de nouveau après la pause du groupe.

On voit ici que Julien Sagot est auteur, compositeur, interprète et réalisateur en plus d’être le percussionniste de Karkwa. Avec l’aide du principal intéressé, la réalisation de cet album a été confiée à Simon Angell, guitariste de Patrick Watson et cofondateur de l’excellent groupe québéco-scandinave Thus Owls – de retour en mars de ce côté de l’Atlantique.

L’album Piano Mal a été créé au Québec et en France, respectivement aux studios Mathieu Parisien et La frette (propriété d’Olivier Bloch-Lainé, aussi le compagnon de Marie-Jo Thério). Très rapidement, on est habité par cette musique garnie de mots réunis avec une élégance certaine.

De manière générale, l’architecture musicale est simple. Tout se déploie dans l’habillage, l’arrangement, l’instrumentation, les textures, la réalisation. Et c’est très bien ainsi puisque la forme chanson trouve sa valeur beaucoup plus dans les couches recouvrant les structures que par leur rythme, leurs mélodies ou progressions harmoniques.

À ce titre, Simon Angell a fait du très bon boulot. La variété des styles (folk, rock, ambient, prog, musique répétitive américaine, etc.) sert un univers propre, celui de Julien Sagot. Les prises de sons sont bellement filtrées, les fragment de bruits captés sur le terrain se voient considérablement transformés et confèrent une réelle envergure à ces enregistrements.

On n’en retiendra probablement pas les chansons, on risque d’en retenir le tout. Aucun vers d’oreille à l’horizon (au sens positif de l’expression), aucun refrain ne s’incruste. La voix du soliste y est ténue pour ne pas dire limitée et n’ajoute que de la couleur au tableau. En revanche, cet album peut être saisi comme un tout indissociable, périple effectué en dix stations. Sagot y réussit d’ailleurs l’exploit de ne pas ressembler à Karkwa, ou si peu.

Les textes s’avèrent d’allégeance surréaliste, les choix métaphoriques procèdent d’une diffraction considérable du réel.

Voici quelques citations hors contexte:

Dans Le trucifié : Esprit de la nuit nuée d’abeilles qui me frôle dans cette forêt / Étranger je glisse ma cape se prend à un saule…

Dans Piano mal : Quand tu touches la vitrine sur une colline d’argent c’est un verre d’eau sur la ligne soulevant les corps de chambre alors je fais du caféet je vais me recoucher.

Dans Palissade : Les fées qui déferlent sur la ville / leurs coeurs immobiles / vole avec elle..

Cet angle littéraire dévoile un lexique assez solide, une belle propension à l’image. Si peu de liens réalistes cimentent ce formalisme consonant pour ainsi faire rutiler ses indéniables qualités.

Surréalisme apparent, donc. Le résumé wiki nous rappelle que ce choix esthétique se fonde sur les préceptes suivants que pose le fondateur du mouvement, André Breton :

« automatisme psychique pur, par lequel on se propose d’exprimer, soit verbalement, soit par écrit, soit de toute autre manière, le fonctionnement réel de la pensée. Dictée de la pensée, en l’absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale [...] Le surréalisme repose sur la croyance à la réalité supérieure de certaines formes d’associations négligées jusqu’à lui, à la toute-puissance du rêve, au jeu désintéressé de la pensée. Il tend à ruiner définitivement tous les autres mécanismes psychiques et à se substituer à eux dans la résolution des principaux problèmes de la vie. »

Enfin… difficile d’affirmer que les textes de Julien Sagot s’inspirent exclusivement de l’approche surréaliste. À coup sûr, ils s’en approchent. La quête de sens direct, d’ailleurs, est une valeur que personne n’est obligé de partager, n’est-ce pas ?

Alors ? Perso, je prends cet album pour ce qu’il est d’abord: bel amalgame de sons. Sons joués, cueillis, traités, transmutés, dits, chantés et plus encore.

La suite sur scène est prévue très bientôt, soit pour le lancement à La Tulipe, le mercredi 1er février.

Article d'Alain Brunet paru dans La Presse le 25 janvier 2012

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