mardi 3 janvier 2012

Julien Sagot libraire d'un jour

Julien Sagot de Karkwa : Pourvu que ça bardasse

Leur univers musical s’étale quelque part entre la poésie de Gaston Miron, les ambiances glacées de Sigur Rós et le rock planant de Radiohead. Leur dernier album, Les chemins de verre, leur a valu un Félix, un Juno et le prix Polaris, qui récompense le meilleur disque canadien de l’année. Leur nom: Karkwa. En pleine tournée européenne, un des membres du groupe, Julien Sagot – percussions, chants – a pris le temps de dresser avec nous son portrait par les livres.

Quand il était enfant, en France, Julien Sagot s’endormait au son des récits que lui lisaient ses parents. «Ma mère me racontait énormément d’histoires issues de petits livres, comme Martine à la plage, Martine à la mer… C’est probablement cette tradition qui a développé le goût de la lecture chez moi.» 

Un intérêt précoce qui se heurtera bientôt aux réalités de l’école primaire française, où les lectures imposées transforment ce qui était un plaisir en obligation. «J’étais forcé à lire certains livres, comme Michel Strogoff de Jules Verne, des affaires assez arides qui n’étaient pas du tout ma réalité», déplore Sagot. Exaspéré, il laisse tomber la lecture pour un temps. 

Cette désaffection sera de courte durée. À 13 ans, il quitte Paris pour s’installer à Montréal et redécouvre la joie de choisir ses lectures. Il tombe alors sur L’étranger d’Albert Camus. Le coup de coeur est immédiat. «J’arrivais dans un nouveau pays et je sentais que ce livre et moi, on avait des points communs, se souvient Sagot. Le personnage principal ne comprend pas le monde extérieur et j’avais cette impression, moi aussi, quand j’étais adolescent. Arriver dans un autre pays, ça prend une adaptation. Au climat bien sûr, mais aussi aux gens: il faut comprendre comment ils vivent, ce qui les fait rire… Je me suis vraiment retrouvé dans L’étranger, même dans le titre (rires).» 

Après Camus, le musicien découvre l’écriture surréaliste à travers Les champs magnétiques (Breton) et L’écume des jours (Vian). C’est une révélation: «Cette façon d’écrire, de sentir la vie… c’est un peu comme le jazz, explique Sagot. Un thème revient de temps en temps, mais il y a énormément de liberté. Pour moi, cette écriture, c’était libérateur: personne ne disait comment faire les choses. Ça m’a permis de me faire confiance, de trouver un sens à tout ce que je faisais. Ça m’a vraiment aidé par la suite pour écrire des chansons.» 

Le percussionniste indique qu’il a une propension à revisiter les oeuvres qui l’ont marqué: «J’aime me replonger dans des romans où j’ai l’impression d’avoir manqué quelque chose. Ce sont comme des films classiques: je pourrais les regarder un million de fois et j’aurais toujours cette impression de remplir un vide. Ces livres sont comme de la nourriture.» 

Bien qu’il se soit inspiré d’un roman d’Ahmadou Kourouma – Les soleils des indépendances – pour écrire l’une des chansons du premier album de Karkwa, Julien Sagot note que les sources d’inspiration de son groupe sont multiples: «La lecture est là pour te nourrir, te faire rêver, développer ton monde intérieur, mais l’inspiration vient comme elle vient: de films, d’expos, d’une personne croisée dans la rue… Parfois, ça peut venir d’une chose aussi anodine qu’une vieille brique usée (rires).» 

Lecteur omnivore, Julien Sagot butine généralement du côté des littératures africaine, guadeloupéenne et française: «Je ne lis pas assez québécois, regrette-t-il. Ce sera mon mandat pour mes prochaines lectures.» 

Grand admirateur de Romain Gary, il a été récemment soufflé par La vie devant soi, qu’il n’avait jamais lu auparavant. «Ce livre m’a jeté à terre. Je trouve que ça décrit tellement bien la vie des grandes capitales. C’est tellement touchant… À la dernière page, c’est sûr que tu as les larmes aux yeux», ajoute-t-il. 

 Dans la masse d’oeuvres classiques et de romans denses qu’affectionne Sagot, y a-t-il de la place pour des livres plus légers, des lectures de pur divertissement? «Ça ne m’intéresse pas, tranche le musicien. J’aime l’art qui fait vibrer. Il faut que ça fasse rire ou pleurer, que ça crée une émotion, sinon ça ne vaut pas la peine. J’aime quand ça bardasse. Je n’ai pas de temps à perdre avec des affaires fades.»

Par Benjamin Eskinazi le 2011/12/15, Le Libraire.org

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